Ce blog fait suite, après deux ans de silence, à Lal Behi > Lalbehyrinthes qui peut être consulté en manière d’archives. Seul subsiste ici un lien direct vers la série « Savinienne ». Les textes qui composeront ce blog sont un hommage aux fils qui nous contraignent ou nous relient de la plus délicate des façons. Sources d’inspiration et d’émotions contradictoires, s’il est un œuvre alchimique, c’est bien de les dénouer tout en conservant leur substantifique moelle.



lundi 17 octobre 2016

Grise mine



            « ALLÔ ! DUBOIS ? ON A UN PROBLÈME ! »
            « Allô… M. Tausend ? Quelle bonne surprise… »
            « PAS DE FLAGORNERIE, DUBOIS. TU M’ÉCOUTES ? UN SACRÉ PROBLÈME ! »
            « Euh… Mon nom est Dubain, Monsieur… Est-ce que vous avez lu le scénario que je vous ai envoyé ? »
            « J’AI VAGUEMENT SURVOLÉ LE SYNOPSIS… ENFIN, CE QUE T’APPELLES UN SYNOPSIS… C’EST DE LA MERDE, MAIS ÇA VA PLAIRE. »
            « De la merde, M.Tausend ? »
            « VRAIMENT NASE : TOUTE CETTE PASSION VIBRANTE ET CE COÏT SOFT…  MAIS LES MÉNAGÈRES VONT ADORER ! »
            « Les ménagères, Monsieur ? »
            « QU’EST-CE QUE TU CROIS, DUBOIS ? QU’ON FAIT DE L’ART AVEC UN GRAND A ? ON N’EST PAS LÀ POUR RÊVER NOUS. FAUT FAIRE DU CHIFFRE ! D’AILLEURS, J’AI VIRÉ LISA : TROP CHÈRE ET ELLE RÂLAIT TOUT LE TEMPS ! »
            « Mais M. Tausend, c’était notre tête d’affiche ; avec elle, le succès était assuré. »
            « TU COMPRENDS RIEN, DUBOIS… »
            « C’est Dubain, Monsieur… »
            « N’EMPÊCHE QUE TU COMPRENDS RIEN ! J’AI ENGAGÉ LA PETITE ANITA À LA PLACE, CELLE QUI A FAIT UN ESSAI L’AUTRE SOIR. »
            « Est-ce qu’elle n’est pas un peu banale, M. Tausend ? »
            « SÛR ! ELLE A UN VISAGE FADE MAIS, JUSTEMENT, LES BONNES-FEMMES VONT S’IDENTIFIER ILLICO. ET PUIS, ELLE A DES NICHONS MAGNIFIQUES ! PAR CONTRE, ELLE PARLE COMME UNE CRÉCELLE, ALORS VA FALLOIR REVOIR TOUS SES DIALOGUES. PAS PLUS DE TROIS MOTS D’AFFILÉE, QUATRE SI TU PEUX PAS FAIRE AUTREMENT. »
            « Mais… mes grandes tirades romantiques sur l’amour… »
            « OUBLIE-LES ! D’AILLEURS TOUT LE MONDE S’EN FOUT ! MAIS LE VRAI PROBLÈME N’EST PAS LÀ. CE CON DE MINISTRE DE LA CULTÛÛÛRE A OFFICIALISÉ LA ‘TAXE CYAN’ ! »
            « La taxe Cyan, M. Tausend ?! Mais que va-t-on faire ?… »
            « CE QU’ON VA FAIRE ? CE CONNARD TAXE LE BLEU ! DÈS QUE DU BLEU APPARAÎT À L’ÉCRAN, ÇA DOUILLE ! ON PEUT PAS SE PERMETTRE ÇA, DUBOIS. »
            « C’est Dubain, Monsieur… »
            « DONC PAS DE SCÈNES DÉBORDANT DE BLEU ! »
            « Mais le film commence sur le yacht du milliardaire, avec plan panoramique sur la mer et le ciel pur. Et il offre un saphir à la fille ! »
            « ON SUPPRIME ! »
            « Ça pourrait débuter avec une prairie bucolique… »
            « T’ES CINGLÉ, LE VERT C’EST DU JAUNE ET DU BLEU – TAXÉ À 50% ! T’AS QU’À METTRE DU ROUGE PARTOUT. LES PETITS MALINS DU MINISTÈRE S’Y SONT PAS ENCORE ATTAQUÉS. »
            « Du rouge ? »
            « JE SAIS PAS MOI, FAIS DANS LE GENRE ORIENTAL. C’EST TON BOULOT APRÈS TOUT. T’ES PAYÉ POUR QUOI, DUBOIS ? »
            « Dubain, Monsieur. Et tant qu’on y est, il faudrait sans doute bannir le violet et le marron qui sont aussi des mélanges de bleu ? »
            « TU TE CROIS MALIN, DUBOIS ? »
            « Pourtant… »
            « MAIS T’ES PAS TROP CON SUR CE COUP-LÀ. C’EST MÊME GÉNIAL. JE VAIS CARRÉMENT FAIRE UN FILM EN NOIR ET BLANC – COMME ÇA, MÊME LES INTELLOS AURONT QUELQUE CHOSE À SE METTRE SOUS LA DENT ! »
            « En noir et blanc ? Cela ne va tout compliquer ? Plus personne ne sait filmer avec le vrai noir et blanc des grands classiques. Et les pellicules adaptées coûtent sans doute un bras. »
            « OUAIS… BON, ON OUBLIE LE NOIR ET BLANC, ON N’A QU’À FAIRE TOUT ÇA EN DÉDRADÉS DE GRIS. »
            « Heureusement que le dégradé n’est pas encore taxé ! »
            « TU CROIS PAS SI BIEN DIRE. MAIS AU CAS OÙ CE BLANC-BEC DE MINISTRE EN AURAIT L’IDÉE, ON VA PRENDRE LES DEVANTS. FAUT LIMITER LE NOMBRE DE GRIS DIFFÉRENTS QU’ON VA UTILISER. »
            « Et sans vouloir paraître sarcastique, M. Tausend, combien de teintes pourrons-nous employer ? Au moins quatre-vingts, j’espère. »
            « TU RIGOLES, DUBOIS ! CINQUANTE NUANCES DE GRIS, ÇA SUFFIRA BIEN ! »

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